Déforester, planter du cacao, épuiser les sols avec les pesticides puis abandonner la parcelle. Et recommencer. Le système ivoirien de production du cacao, à bout de souffle, est contraint de se transformer. La Conférence internationale sur la lutte contre la désertification (COP15), qui doit se tenir à Abidjan du 9 au 20 mai, entend mettre particulièrement l’accent sur le développement d’une filière de cacao durable pour enrayer la déforestation et la désertification.

Il y a aussi urgence pour pouvoir continuer à exporter le cacao. Avec 2 millions de tonnes par an, la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial, exporte les deux tiers de sa production vers l’Union européenne. Or, fin 2023 ou début 2024, l’UE devrait adopter un règlement interdisant l’importation de produits issus de la déforestation, comme le café, le soja, le bœuf, l’huile de palme, le bois et… le cacao.

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Les Vingt-Sept ne veulent plus être complices de la déforestation. Selon le WWF, « l’Union européenne est le deuxième plus grand importateur de matières premières liées à la déforestation ».

Verdir la production de « l’or brun »

En Côte d’Ivoire, la situation est alarmante. Le pays a perdu 90 % de son couvert forestier en soixante ans, selon le gouvernement. Malgré l’initiative Cacao et Forêts datant de 2017, entre les chocolatiers et les pays producteurs, visant à verdir la production de l’« or brun », l’ONG américaine Mighty Earth a révélé l’année suivante que les multinationales continuaient à s’approvisionner dans des zones classées. Et selon un rapport publié mi-février, la déforestation se poursuit en Côte d’Ivoire : près de 20 000 hectares de forêt primaire ont encore disparu depuis 2019, mettant en danger les derniers refuges des éléphants de forêt et chimpanzés du pays.

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Le président ivoirien, Alassane Ouattara, a accusé les Occidentaux de « faire la leçon » aux pays africains, responsables de seulement « 4 % de la pollution » mondiale. « Si les Européens ne veulent pas acheter notre cacao, il y en a d’autres qui vont l’acheter (…), nous devons travailler ensemble à ce que le cacao soit durable », a-t-il lancé sur RFI et France 24, en amont du sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine (UA) en février, qualifiant le projet de règlement de « menace ». En Côte d’Ivoire, le cacao fait vivre 5 à 6 millions de personnes, soit un cinquième de la population. Mais les agriculteurs ne reçoivent que 6 % du prix d’une tablette de chocolat.

Une aide de 58 millions d’euros de l’UE

« Les discussions durent depuis dix-huit mois avec l’Union européenne, la Suisse et les États-Unis, relève une source. Les propos d’Alassane Ouattara ne visent qu’à contenter l’opinion publique. » Conformément aux engagements pris lors du sommet UE-UA, l’Europe a apporté une aide de 58 millions d’euros à la Côte d’Ivoire pour renforcer la paix, la transition bas carbone et… le cacao durable.

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D’ici deux ans, les exportateurs de cacao devront donc prouver que leur marchandise n’est pas issue de la déforestation. Cela implique d’investir dans des logiciels de géolocalisation des parcelles. Qui va prendre en charge le coût de cette traçabilité ? La question n’est pas encore tranchée, chaque acteur se renvoyant la balle. Si les chocolatiers arguent que ce n’est pas leur rôle, les exportateurs rétorquent que leurs marges sont déjà minimes.

Le piège des stratégies court-termistes

Selon Julie Stoll, déléguée générale de Commerce équitable France (CEF), les cacaoculteurs sont coincés dans un « piège à pauvreté » (« poverty trap ») : « Sans changement majeur dans la filière cacao, notamment sur les prix payés aux producteurs, il n’y a pas de raison que les planteurs n’aient plus besoin d’aller couper la forêt. Ils sont obligés d’être dans des stratégies court-termistes qui les empêchent d’investir dans des transformations pour produire un cacao durable. »

Une étude menée par le cabinet Horus pour CEF préconise de doubler le prix de la tonne de cacao pour permettre une transition agroforestière, c’est-à-dire arrêter la déforestation et la monoculture.

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À Grogouya, dans le centre de la Côte d’Ivoire, la coopérative Ecakoog a adopté une stratégie durable. Grâce à différents financements, une partie des 4 800 planteurs accèdent à des marchés de niche comme le bio. La coopérative bénéficie du programme équité de CEF, financé sur quatre ans à hauteur de 11,5 millions d’euros par l’Agence française de développement et le Fonds français pour l’environnement mondial.

La tentation de marchés moins exigeants

L’agroforesterie consiste à introduire une quarantaine d’arbres par hectare d’au moins cinq variétés. Ainsi, explique Hyacinthe Oulaye, agronome de la coopérative, « il pleut abondamment, les feuilles enrichissent le sol, et les cacaoyers vivent 30 à 40 ans, au lieu de 15 ans en monoculture ». Bertine Adjoua Kouassi, productrice de 45 ans, reçoit des revenus complémentaires avec les orangers et avocatiers qu’abrite désormais son champ de cacao. C’est « plus d’argent pour le foyer », ce qui l’aide à scolariser ses six enfants.

Comme Ecakoog, 40 % des coopératives ivoiriennes sont déjà en mesure de tracer le cacao, mais les autres n’auront pas toutes les moyens d’investir dans de tels logiciels. Selon Manon Lelarge, chargée du programme équité chez CEF, « le risque, c’est soit que ces producteurs arrêtent de produire du cacao, ce qui pourrait favoriser la production dans d’autres zones où il y a encore des forêts, par exemple au Congo ou au Liberia ; soit qu’ils se dirigent vers des marchés moins exigeants comme le marché asiatique ».

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Une désertification en pleine expansion

Créée en 1992 à Rio de Janeiro, la conférence des parties (COP) se réunit chaque année depuis 1995.

Depuis lundi 9 mai, 196 États sont réunis à Abidjan, en Côte d’Ivoire. L’objectif est de trouver des moyens de lutter contre l’avancée du désert, la déforestation, l’appauvrissement des terres arables ou les pollutions des sols.

Selon l’ONU, 41 % des terres sont dégradées dans le monde. Chaque année, 12 millions d’hectares de terres sont perdus, soit une superficie équivalente à celle du Bénin ou de la Belgique.

L’Afrique perd 4 millions d’hectares de forêts par an. Selon l’organisation environnementale américaine Mighty Earth, 47 000 hectares ont été défrichés pour la production de cacao en 2020 en Côte d’Ivoire.

Pour répondre aux besoins alimentaires de la planète face à l’augmentation de la population, 6 millions d’hectares de terres supplémentaires devraient être mis en production chaque année d’ici à 2030.