L’organisation de la base, des immigrants et de l’agriculture aux États-Unis

17/05/2021 |

Par Kathia Ramírez

Lisez et écoutez la contribution de Kathia Ramirez sur le travail du Comité de soutien aux travailleurs agricoles (CATA), au webinaire « Migration et refuge dans l’agenda féministe. »

Foto/photo: CATA, 2016.

Les États-Unis sont connus pour être le pays des opportunités, où il est possible de vivre le « rêve américain ». Mais la réalité est que nous vivons dans le « ventre de la bête ». La première fois que j’ai participé à un séminaire international, j’ai trouvé intéressant que les participants soient surpris d’apprendre qu’il existe également des luttes populaires aux États-Unis. Des organisations comme le Comité de soutien aux travailleurs agricoles (CATA-Comitê de Apoyo a los trabajadores agrícolos) se concentrent sur les communautés impactées par les lois, les politiques et les injustices aux États-Unis.

Lutte et travail quotidien

À CATA, nous travaillons avec la communauté rurale ainsi qu’avec la communauté immigrée et latino. Nous sommes une organisation associative et la majorité d’entre nous fait partie de la communauté des immigrés illégaux. Nos domaines de travail sont divisés en trois branches : l’immigration (principalement axée sur l’aide juridique), les droits du travail et la justice alimentaire.

Le 1er mai de cette année, pour célébrer la Journée internationale des travailleurs, certains de nos collègues ont participé à une marche dans la capitale Washington. Le slogan de la marche était « des papiers, oui, des miettes, non », renforçant la nécessité d’une réforme migratoire qui puisse bénéficier aux plus de 11 millions de personnes se trouvant illégalement aux États-Unis. Cette réalité perdure depuis plusieurs années déjà.

Notre deuxième domaine d’activité, l’aide juridique, comprend la visite de centres de travail et la sensibilisation des travailleurs quant à leurs droits. Il existe une croyance selon laquelle la communauté des immigrés illégaux n’auraient aucun droit en tant que travailleurs, du fait qu’ils n’ont pas de statut légal dans le pays. Même les employeurs en profitent souvent pour les intimider, en menaçant d’appeler « la migra » (la police de l’immigration) ou les services américains de l’immigration et des douanes [U.S. Immigration and Customs Enforcement – ICE] si les travailleurs osent dire ou signaler quoi que ce soit.

La dernière branche de notre travail, la justice alimentaire, tient au fait que la communauté que nous servons n’a pas le luxe de manger des aliments sains, ni elle ni sa famille, soit par manque de ressources, soit parce qu’elle ne dispose que de ce qui est disponible dans sa communauté. On dit souvent que le travail agricole ne requiert aucune compétence, mais en fait, il faut savoir travailler.

De nombreux travailleuses et travailleurs agricoles viennent de pays d’Amérique latine où l’agriculture était le moyen de subsistance de la famille. C’est là qu’ils prenaient les décisions et contrôlaient ce qu’ils cultivaient et comment. Ici, ils obéissent aux ordres de l’exploitant agricole, n’ont aucun contrôle, et les savoirs se perdent. Le cœur de notre programme de justice alimentaire est donc constitué par les potagers communautaires, où les gens participent à la vie de la communauté, prennent des décisions sur ce qui sera cultivé et comment, et partagent ce savoir avec les nouvelles générations.

Foto/photo: CATA, 2012

Aucun être humain n’est illégal

Lorsque j’ai commencé à travailler à CATA, j’ai interviewé une femme d’Amérique centrale sur la façon dont elle est arrivée aux États-Unis. C’était en 2014. Cette année est importante car à partir de ce moment-là, nous avons commencé à voir l’intensification de la migration des personnes en provenance d’Amérique centrale par caravanes. Beaucoup de celles qui entreprennent ce voyage le font parce qu’il y a beaucoup de violence dans leur pays, de la part du gouvernement ou à l’intérieur de leur maison, comme c’était le cas pour elle.

La femme que j’ai interrogée avait fui son mari en raison de violences domestiques. C’est le cas de nombreuses femmes. Nous avons également vu qu’ils envoient leurs enfants seuls : ils se rendent à l’immigration à la frontière et sont déclarés comme réfugiés, ils sont donc autorisés à passer aux États-Unis, mais à partir de ce moment-là, ils sont criminalisés, puisqu’ils sont « libérés » mais avec un bracelet électronique, comme c’était le cas de la fille interviewée. Ce bracelet les oblige à rester près d’une prise de courant pour le recharger pendant des heures et les oblige à se présenter fréquemment à l’Immigration.

Les agents de l’immigration, mieux connus sous le nom d’ICE, ne disposent d’aucun organisme pour superviser leurs pratiques ou leurs politiques. La nouvelle administration maintient les mesures suprématistes et patriarcales de la loi sur l’immigration. Les fonctionnaires de l’ICE, et même les tribunaux, ont beaucoup à dire sur la façon dont ils traitent les gens et sur les personnes qu’ils jugent dignes de mériter le statut de réfugié. Dans ce contexte, les femmes sont souvent exclues, car elles sont considérées comme une charge pour l’État. Leurs enfants leur sont retirés, elles sont placées dans des conditions qui les obligent à endurer de nouvelles violences de genre, notamment des violences dans les centres de détention, où elles subissent, par exemple, des violences sexuelles et des stérilisations forcées.

Peu de mesures ont été prises et, en fait, ils continuent d’expulser des personnes bien qu’ils aient déclaré un report de 100 jours des expulsions. Les immigrants haïtiens sont déportés en masse. Cela s’ajoute à d’autres politiques et pratiques à l’encontre des Noirs et des immigrants que nous constatons dans la surveillance et la capture en vue de leur expulsion des migrants noirs et latinos. Les États-Unis ne suivent pas les conventions internationales sur les droits des réfugiés, mais choisissent, à leur avantage, qui est un réfugié et qui ne l’est pas. Les femmes continueront à être touchées par la triple crise : économique, politique et climatique. Les immigrants d’Amérique centrale, à l’heure actuelle, sont exclus du statut de réfugié et leur séjour aux États-Unis est exposé à la déportation.

La pandémie creuse les inégalités

Au cours de l’année écoulée, il a été possible de donner plus de visibilité aux injustices et de sensibiliser à la réalité à laquelle sont confrontées principalement les communautés non blanches . Non seulement parce qu’il y avait des « intérêts », mais aussi parce que, en raison de la pandémie, beaucoup de choses ont été mises en lumière. Cela se produit lorsqu’il y a une catastrophe, mais nous devons profiter du moment pour inverser le système et les situations de façon permanente.

En cette dernière année de la pandémie, la discrimination à l’encontre des communautés asiatiques a augmenté. On constate une augmentation des crimes de haine contre les femmes et les personnes âgées, et contre les personnes sans protection telles que les travailleurs de première nécessité, les travailleurs agricoles, les aides-soignants et les travailleurs de l’habillement, secteurs où l’exclusion et le manque de protection sont nombreux alors que la demande de services est élevée.

Le gouvernement américain a offert des incitations financières aux citoyens américains en raison de la pandémie. Les personnes en situation irrégulière ont été exclues de ce soutien. Les familles dans lesquelles une seule personne est citoyen/ne américain/e ont été exclues. Les personnes qui ont perdu leur emploi et n’ont pas de sécurité sociale ne peuvent pas profiter du chômage. Au sein des familles, des mères ont dû quitter leur emploi parce qu’elles ne pouvaient pas emmener leurs enfants à la crèche, chez la nourrice ou à l’école.

Il y a des familles qui ont plus de trois enfants et qui ne peuvent pas se permettre d’avoir trois appareils électroniques pour les cours en ligne. Les écoles n’ont pas fourni le matériel nécessaire pour maintenir l’apprentissage. Il n’y a pas eu de formation sur l’utilisation de la technologie et tout le monde n’a pas accès à internet à la maison. En outre, les femmes doivent également s’occuper des tâches ménagères.

Au sein de l’organisation, nous n’avons pas pu rencontrer beaucoup de membres de la base car il était difficile pour beaucoup d’entre eux de participer à des réunions en ligne. Cependant, nous avons déjà le défi de la participation des femmes en raison de la situation de la garde des enfants et des tâches ménagères, ce qui devient encore plus difficile avec tout ce que la pandémie ajoute.

Alternatives à partir de l’organisation populaire

Les organisations de base et communautaires ont été touchées pendant cette période. Face aux difficultés d’emploi, nous avons créé au CATA un fonds de solidarité pour la communauté immigrée en situation irrégulière. Évidemment, nous ne pouvions pas aider tout le monde et ce que nous donnions n’était pas suffisant. Nous avons également ressenti le besoin de produire plus de nourriture pendant cette période, à la fois pour les raisons décrites ci-dessus et parce que, bien qu’il y ait eu plusieurs efforts de distribution d’aliments, la plupart de ce qui était distribué n’était autre que des conserves et des aliments transformés.

Nous avons agrandi l’un de nos potagers communautaires, nous nous sommes associés à ceux qui distribuent de la nourriture et nous avons fourni des produits frais. Nous avons commencé les jours de marché, distribué environ 10 000 masques car les employeurs n’étaient pas tenus de suivre les recommandations sanitaires. De nombreuses vies ont été perdues en raison de la négligence des employeurs et du consumérisme. C’est pourquoi nous nous joignons à la lutte internationale pour la justice et pour nos communautés à partir d’un programme féministe.

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Kathia Ramirez est la coordinatrice de la justice alimentaire pour le Comité de soutien aux travailleurs agricoles (CATA) dans le sud du New Jersey. CATA est une organisation membre de la Grassroots Global Justice Alliance (GGJ).

Traduit du portugais par Claire Laribe. Langue originale : espagnol

Édition par Helena Zelic et Bianca Pessoa

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