Initiative pour la paix féministe: « La seule solution verte au militarisme est d’y mettre fin. »

10/11/2021 |

Par Capire

Kitzia Esteva- Martinez a parlé à Capire de l'articulation des organisations populaires pour contrecarrer les interventions militaires américaines dans le monde

Marcha das Mulheres em Washington, DC, 2019.

Kitzia Esteva-Martinez est membre de l’organisation féministe et populaire nationale de l’Alliance populaire pour la justice mondiale (Grassroots Global Justice Alliance) et de la Marche Mondiale des Femmes. La GGJ est une articulation d’organismes communautaires populaires qui agit dans la lutte contre le racisme, dans la lutte pour les droits du travail, pour les droits des migrants, pour le démantèlement et l’abolition du complexe carcéro-industriel et pour la fin du militarisme. L’alliance développe également une vision féministe de l’économie régénératrice pour la population américaine et les communautés marginalisées. Capire a interviewé Kitzia sur les motivations et le programme de l’initiative pour la paix féministe (Feminist Peace Initiative).

Qu’est-ce qui se cache derrière le concept de paix féministe ?

L’Initiative pour la Paix Féministe est un mouvement orienté vers la construction d’une politique étrangère féministe aux États-Unis. Il s’est développé à partir d’une relation avec Grassroots Global Justice Alliance, Madre et Women Cross DMZ, qui travaillent ensemble depuis deux ans pour construire l’Initiative. L’année dernière, nous avons publié un plan général pour la construction d’une politique étrangère axée sur les mouvements, pour se connecter à l’intersection du féminisme, renouvelant et revitalisant le mouvement pacifiste aux États-Unis, afin de se connecter plus étroitement au mouvement pour la justice raciale et aux communautés diasporiques touchées par l’armée américaine.

Nous faisons la promotion de diverses formations politiques pour discuter des intersections liées à la politique étrangère des États-Unis. Nous situons notre organisation dans le moment politique du débat sur le climat, à la COP 26 [Conférence des Nations Unies sur le changement climatique de 2021], sachant également que la discussion sur la militarisation, la contamination de l’industrie des combustibles fossiles, les émissions générées par la guerre et le développement des armements ne sont pas considérées comme des justifications du changement climatique. Aux États-Unis, nous avons un rôle très important à jouer en tant que mouvements qui construisent un modèle antimilitariste internationaliste, car nous savons que l’armée américaine fait partie des plus grands émetteurs de gaz à effet de serre de la planète.

Nous voulions porter cette intervention à Glasgow et faire être utiles pour reprendre la responsabilité de la réduction et du démantèlement futur de la toxicité militaire à laquelle les communautés autochtones, noires et migrantes sont confrontées aux États-Unis, et dont nous savons qu’elle est exportée partout sur la planète. Nos demandes incluent la fermeture de toutes les bases américaines et l’élimination de la contamination générée par celles-ci dans le pays et dans le monde, la réduction du budget du Pentagone, de la présence de la police militaire américaine et de l’ICE [police américaine de l’immigration et des douanes], et pour la fin de la fabrication et de la distribution d’armes ainsi que de la génération de profit grâce à la guerre.

Quelle est la relation entre le militarisme et le changement climatique ? Quel est le lien entre les luttes féministes et la lutte pour la planète ?

Les émissions de gaz à effet de serre sont l’une des principales causes du changement climatique. En général, la façon dont les industries se sont développées dans le capitalisme ne représente en fait pas une bonne relation avec la planète, apportant un niveau de toxicité à l’atmosphère qui augmentera la température de la planète. Au cours des 26 dernières années de débat climatique sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, le capitalisme de catastrophe a fait un excellent travail pour trouver un moyen de s’écarter de ses responsabilités et de créer des systèmes comme le marché du carbone par exemple.

En ce qui concerne le militarisme et les opérations militaires, le développement et la distribution d’armes polluent beaucoup, allant de l’extraction nucléaire qui pollue les lieux mêmes de l’extraction, jusqu’aux essais d’armes nucléaires. Il y a une empreinte carbone immense liée à cette capacité à alimenter les bases militaires américaines à travers la planète.

De nombreux politiciens, en particulier aux États-Unis, discutent des différentes façons de rendre les forces armées plus vertes, mais nous savons que la seule solution verte au militarisme est d’y mettre fin.

Il existe des moyens de réduire les émissions, mais ce n’est pas ce que nous voulons, car l’armée américaine est un appareil patriarcal et impérialiste qui force les communautés du monde entier à se soumettre au régime américain.

Nous voyons la même logique appliquée aux communautés marginalisées du pays, et cela se connecte à un agenda féministe car, en fait, les femmes et les enfants sont les premières personnes à subir l’impact des opérations militaires américaines. Là où il y a des bases militaires américaines, la violence sexiste et la traite des femmes augmentent, sans parler de tous les coûts que l’invasion d’autres terres par les États-Unis représente pour la vie et l’intégrité physique et humaine d’innombrables femmes.

Les États-Unis opèrent au nom des entreprises. Les guerres au Moyen-Orient servent en fait les entreprises et leurs alliés afin qu’elles aient accès à tous les combustibles fossiles qui existent dans la région. Il s’agit de la lutte entre le capitalisme de pillage des États-Unis et les droits et la dignité des femmes et des enfants partout sur la planète. Ce sont eux qui subissent les conséquences de la violence des guerres qui viennent de l’extérieur.

À bien des égards, c’est également nous qui avons des solutions et qui développent des stratégies pour nettoyer les communautés polluées et avoir accès à l’eau potable. Quand on pense aux gens qui protègent l’eau et la terre, ce sont toujours les mêmes personnes que celles qui font également partie de cet agenda féministe pour sauvegarder la planète. Si nous en discutions avec les gens qui ont de véritables solutions, le féminisme populaire serait au centre de ce dialogue.

Le thème principal des activités du 10 novembre est basé sur l’impact des forces armées américaines sur la destruction du climat. Sachant que les Américains sont militairement présents sur toute la planète, quel est le rôle de l’internationalisme dans la recherche de solutions à ce problème ?

Les gens se battent contre l’impérialisme américain et pour la fermeture de toutes les bases existantes. Lorsque nous pensons aux différentes façons dont nous nous connectons dans l’immense responsabilité de sauvegarder notre planète, nous devons avoir deux préoccupations : les États-Unis et tout autre régime fasciste qui maintient un système qui fonctionne sur la base de l’occupation et de la violence guerrière.

Lorsque nous agissons pour fermer des bases ailleurs dans le monde, lorsque nous agissons ensemble pour promouvoir les voix et le leadership des féministes populaires du monde entier, nous sommes au cœur de la problématique de sauvegarde de notre planète et de construction d’une nouvelle perspective.

Avec l’initiative pour la paix féministe, nous essayons de suivre les traces de la Marche Mondiale des Femmes pour savoir quel chemin suivre pour aller de l’avant. Un chemin dans lequel non seulement nous résistons à ce qui est mauvais (ce que nous continuerons à faire) mais dans lequel nous construisons également une vision de l’avenir qui favorise une relation correcte avec toutes les personnes de la planète. Cela demande par exemple de démocratiser la politique étrangère américaine. Le pays aurait besoin d’avoir une relation avec le reste de la planète qui favoriserait véritablement une compensation de tous les dommages causés par son action militaire.

Nous avons un grand engagement pour ce travail internationaliste. L’impact de la police et de la violence d’État au sein des communautés américaines nous place dans une solidarité et une relation totales et permanentes avec d’autres personnes du monde entier qui résistent également. Nous devons intervenir au niveau mondial pour réussir à arrêter les machines de guerre des régimes fascistes suprémacistes blancs qui développent les priorités et les programmes de la conduite mondiale de l’économie.

Les activités visent également à promouvoir les voix et les expériences des communautés touchées par la militarisation. Souhaitez-vous partager quelques expériences de l’organisation ?

Je viens d’une famille qui a émigré du Mexique. Nous sommes arrivés aux États-Unis après que mon neveu a été diagnostiqué avec une leucémie, et c’était au début de la guerre en Irak en 2003. J’ai dû traverser la frontière, je n’avais que 15 ans et je me souviens avoir pensé que j’entrais dans l’empire. J’avais 15 ans, mais je savais déjà très bien ce que faisaient les États-Unis. Depuis, je suis membre du mouvement pour les droits de la population immigrée. Nous avons une relation avec des mouvements féministes et de justice sociale ailleurs dans le monde, qui luttent contre l’impérialisme et le militarisme américains, parce que nous y faisons également face.

Les communautés de migrants aux États-Unis sont solidaires parce que nous avons une frontière militarisée. À bien des égards, la police, les patrouilles frontalières, la police de l’immigration et les douanes fonctionnent de manière très similaire aux opérations de l’armée américaine dans d’autres parties du monde.

Tout se connecte au même monstre du militarisme. C’est un système de violence d’État qui sous-tend le capitalisme suprémaciste blanc. Tout cela contre la dignité et la vie de nous toutes. Nous devons nous organiser pour lutter contre la guerre que nous vivons dans nos communautés, que ce soit chez nous ou dans d’autres pays.

Entretien réalisé par Bianca Pessoa
Édition de Bianca Pessoa et Helena Zelic
Traduit du portugais par Claire Laribe

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